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Articles / Histoire

Le pouvoir des druides

Source : Pour la Science, n° 233, mars 1997

Les druides fascinent les descendants des Celtes que nous sommes. Les Français se contentent, aujourd'hui, de l'image rassurante du Panoramix de la bande dessinée, plus médecin et magicien que prêtre. Les Anglo-Saxons, depuis le x'xe siècle, reconstituent des~confréries druidiques plus proches de la secte que d'une authentique tradition.

Malgré la modernité de ses formes, cette attirance n a nen d'une mode passagère l'engouement pour les sages gaulois existait déjà dans l'Antiquité. Pendant la période alexandrine, les Grecs, après avoir connu la philosophie la plus brillante avec Platon et Aristote, s'intéressèrent aux sagesses exotiques égyptienne, indienne, mais aussi gauloise. Diogène Laérce, auteur de l'une des premières histoires de la philosophie au début du nIe siède avant notre ère, prétendit même que les druides et les brahmanes de l'Inde avaient inventé la philosophie.

Depuis la redécouverte et l'édition au XVIe siècle des auteurs grecs et latins, les érudits, les intellectuels et les artistes se passionnent pour les druides, personnages mystérieux. Ainsi, en 1585, Noél Taillepied fait paraître l'Histoire de l'Estat et République des Druides, où il présente les druides comme des jurisconsultes qui conseillent le sénat et le peuple. Au siècle des Lumières, les druides sont les emblèmes d'une théocratie modèle, d'une utopie où la raison l'emporte sur le droit régalien. Après l'échec, sous la Révolution, d'une religion philosophique, les romantiques se réclament à nouveau des druides, mais pour les assimiler à de lointains précurseurs, des mages fondateurs d'une juste harmonie entre la nature et les humains.

Qui étaient les druides? Quel était leur râle dans la société celte? Les progrès accomplis depuis un siècle dans l'étude des textes des auteurs grecs et latins permettent de replacer chronologiquement les informations qu'ils contiennent. En combinant ces résultats avec les découvertes archéologiques, nous reconstituons l'histoire du druidisme, de son apparition probable sur les rives orientales de la Méditerranée à son extinction dans les forêts de Grande-Bretagne et d'Irlande. La connaissance des cultes pratiqués, obtenue ces dernières années par la fouille de grands sanctuaires du Nord de la France, confirme aussi ce que les comparaisons linguistiques et mythologiques avaient pressenti dès le début du XXe siècle le druidisme a de nombreux points communs avec les autres traditions indo-européennes.

Retour aux sources

Que nous apprennent les textes antiques sur les druides? Le récit qui a le plus retenu l'attention des historiens anciens et populaires est celui de la cueillette du gui, par Pline l'Ancien. Illustré dans plusieurs générations de livres d'histoire, ce texte décrit comment le gui, considéré comme panacée, était recueillî par des druides avec la plus grande solennité. Seul le gui poussant sur le chêne, phénomène naturel rare, avait les vertus recherchées. A une date précise du calendrier lunaire, un druide vêtu de blanc coupait la précieuse plante à l'aide d'une faucille d'or. Le gui ne devait pas tomber au sol: d'autres druides le recueillaient dans un linge blanc. Pour remercier ou dédommager la divinité, deux jeunes taureaux blancs étaient sacrifiés au pied de l'arbre.

D'un texte riche et complexe, qui évoque une symbolique subtile des couleurs et des éléments, on ne retenait que la vision poétique de nos sages ancêtres vêtus d'aubes blanches, s'enfonçant dans de profondes forêts enquête d'une plante magique. On oubliait que l'opération s'accompagnait d'un sacrifice animal, en tous points semblable à ceux que préconisaient les religions grecque et romaine. On en vint à croire que les Gaulois n'avaient pas d'authentiques sanctuaires, mais se contentaient de sites naturels forêt, cime montagneuse, source.

La cueillette du gui, dècrite par Pline l'Ancien, a été l'une des scènes favorites des livres d'histoire pendant plusieurs décennies. Aujourd'hui, l'image des druides est utilisée, entre autres, par des sectes et par la bande dessinée. Les prêtres celtes étaient bien différents de ces clichés.

Jules César, dans un passage de la Guerre des Gaules, dépeint des druides assez différents des magiciens inspirés décrits par Pline. Les druides apparaissent avant tout comme des prêtres institutionnels au service d'une religion d'état, organisés en un corps sacerdotal hiérarchisé. Parce qu'ils sont des savants omniscients, leurs compétences ne se limitent pas au seul domaine religieux. Philosophes, ils développent une doctrine morale qui s'applique à la justice et se prolonge naturellement dans l'enseignement. Les druides détiennent une grande part du pouvoir : ils forment l'une des «deux classes d'hommes qui comptent», l'autre étant celle des «chevaliers» ou nobles guemers.

Ce texte est précieux, parce qu'il est le seul témoignage disponible sur de nombreux documents de cette époque aujourd'hui disparus. Il synthétise ce qu'un intellectuel romain du 1er siècle avant notre ère pouvait savoir de la question, à travers la littérature, les récits de voyages ou les grands essais historiques. Son seul défaut est, justement, d'être trop synthétique. Jules César, en bon lecteur et historien adroit, généraliste, comble des lacunes par des amalgames rapides, efface les limites géographiques, gomme les indiférences chronologiques. Ce texte est aussi paradoxal : c'est le seul passage de la Guerre des Gaules où les druides apparaissent explicitements. Jules César n'aurait-il jamais rencontré personnellement aucun de ces personnages importants ?

Posidonius avant Jules César

Le paradoxe est levé quand on analyse l'origine de ce passage où Jules César décrit la société gauloise : c'est le produit d'une compilation de lectures, écrites surtout par un écrivain antérieur, Posidonius. Celui-ci, philosophe stoïcien, l'un des initiateur du néo-pythagorisme à Rome, historien, est le premier ethnographe des Gaulois. Originaire d'Apamée (aujourd'hui en Syrie), il ose se rendre en territoire gaulois, au début du 1er siècle avant notre ère, alors que peu de commerçants romains s'y aventurent. Il voyage en Gaule pour enquêter sur l'invasion des Cimbres et des Teutons et y trouver bien d'autres sujets d'intérêts, notamment et surtout des druides. Probablement s'est-il donné pour mission d'étudier les seuls philosophes non grecs qu'il peut rencontrer.

Les liens harmonieux tissés par les druides entre philosophie et religion le fascinent. Selon Sénèque, Posidonius voit dans les druides les héritiers de cet âge d'or, cher à Platon, où "l'autorité était aux mains des sages". Posidonius croit même retrouver chez les druides des échos de la doctrine pythagoricienne, notamment la croyance en une forme de métempsycose. Il s'intéresse tant à ces prêtres qu'il en néglige les autres aspects de la société dans lesquels il ne voit qu'un reflet archaïque des sociétés de la péninsule italienne.

Jules César recopie donc une relation vieille de plusieurs décennies, peut-être elle-même issue de sources plus anciennes : Posidonius n'a pas tout vu en Gaule et il a certainement utilisé les récits des voyageurs qui l'ont précédé. La société gauloise qui apparaît en toile de fond de la Guerre des Gaules n'est pas celle visitée par Posidonius et ses prédécesseurs. Les invasions des Cimbres et des Teutons, la poussée de l'influence romaine et les incursions germaniques ont entretemps ravagé une partie des bases de cette société et modifié les rapports économiques entre les hommes et entre les Etats. Les institutions politiques sont ébranlées et les druides, piliers de l'ordre ancien, subissent les contre-coups de ces boulversements.

A l'époque de Jules César, les druides n'ont toutefois pas disparu, ni perdu tout leur pouvoir. Selon un texte de Cicéron, Diviciac, noble Eduen qui joue un grand rôle dans le récit de la Guerre des Gaules (les Eduens occupaient une partie du Nivernais et de la Bourgogne entre la Saône et la Loire), est druide. Il accompagne Jules César dans ses campagnes militaires, il lui sert d'informateur et d'ambassadeur. Diviciac est l'une des pièces maîtresses sur l'échiquier politique que le conquérant met en place dès son arrivée en Gaule. Pourquoi Jules César ne nous signale-t-il pas que son précieux allé est druide ? Cette qualité ne peut lui être indifférente : il est lui-même Grand Pontife, magistrat sacerdotal à la tête du collège des pontifes qui on en charge la vie religieuse de l'Etat romain.

Cette question n'est pas secondaire. Les relations entre Jules César et Diviciac, mais aussi entre Jules César et Posidonius, sont à la base de toute notre documentation sur les druides. Pour les comprendre, il nous faut remonter dans le temps, et retracer quelques étapes de l'histoire de druides ; nous verrons que leur rôle social et leur pouvoir ont évolué au cours de l'histoire des peuples celtes.

Les plus anciennes mentions littéraires concernant les druides datent de la fin du IIIème siècle avant notre ère. On les doit à Antisthène de Rodes, qui écrivit le traité La magie, et à Sotion d'Alexandrie qui, à la même époque, rédigea la première histoire de la philosophie. Ces deux mentions prouvent, d'une part, que le druidisme était alors un phénomène assez important pour être connu des Grecs et, d'autre part, que dans ce mouvement la philosophie avait déjà une place aussi grande que les pratiques magiques ou divinatoires. C'est donc au IIème siècle avant notre ère qu'il faut placer la période d'expansion maximale du druidisme.

L'émergence du druidisme

Quand et où les druides sont-ils apparus ? Les opinions divergent déjà dans l'Antiquité. Alors que les historiens de la philosophie rapprochent les doctrines druidiques de celles de Pythagore et supposent qu'elles ont une origine orientale, Jules César mentionne une autre hypothèse, énoncée plus tard : le druidisme serait apparu dans l'île e Bretagne. Cette hypothèse, suivant les termes mêmes du conquérant romain, a été très tôt mise en doute par les historiens. Aujourd'hui l'archéologie l'infirme définitivement. De nombreuses fouilles montrent en effet que les Celtes, des populations belges, n'arrivèrent en Grande-Bretagne que dans le courant du IIIème siècle avant notre ère. Comment en moins d'un siècle, le druidisme y serait-il apparu et s'y serait-il développé, aurait-il diffusé en Gaule et se serait-il fait connaître de lointains auteurs grecs ?

Les Belges ont plus vraisemblablement introduit le druidisme dans cette île, où il a été conservé sous sa forme première, comme d'autres traits de civilisation, archaïsmes dont Jules César s'étonne quand il aborde ses rivages. Ainsi, au Ier siècle avant notre ère, le druidisme des Bretons apparaît-il aux autres confréries comme un conservatoire de mythes et de rites, dont la tradition, pourtant hautement vénérée par ces dépositaires, adeptes de la culture orale, commence à s'estomper sur le continent.

Rien n'indique en outre que le druidisme, en tant que doctrine constituée, soit née en Gaule ni même qu'il y soit présent avant la fin du IVème siècle. Aux Vème et IVème siècles avant notre ère, la religion ne livre aucune trace archéologique nettement repérable sur le territoire : les lieux de culte nous deumeurent inconnus, probablement parce que l'activité religieuse se déroule dans le cercle restreint de la famille, dans la demeure ou à proximité des sépultures. Les dernières invasions celtiques du début du IIIème siècle (dont celle des Belges) auraient donc introduit en Gaule la philosophie et la conception sacerdotale des Celtes d'Europe centrale et des Galates d'Asie Mineure. La connaissance qu'en ont les Grecs dès le IIIème siècle provient probablement des rivages orientaux de la Méditerranée, où transitent et s'installent plusieurs peuples celtes.

Ces nouvelles populations qui s'installent en Gaule à la fin du IVème et au début du IIIème siècle avant notre ère arrivent avec des conceptions religieuses affirmées : elles construisent rapidement et simultanément de grands sanctuaires. La taille de ceux-ci nécessite de puissants corps de prêtres pour les desservir. Ces prêtres sont capables de concevoir des constructions monumentales et complexes, colonnades, temples ou porches de géométrie régulière. Ils possèdent donc un savoir architectural et des connaissances théoriques corollaires en mathématiques et en astronomie. La complexité des rites accomplis sur les sanctuaires, que nos fouilles ont permis de reconstituer, dénote aussi des connaissances d'ordre plus pratique, notamment en anatomie humaine et animale. Ces savants religieux sont les druides, dont la littérature grecque et romaine évoque si souvent le savoir multiple.

Ces corps sacerdotaux comprennent de grands intellectuels, des philosophes qui prétendent comprendre la langue et le désir des dieux, et souhaittent mettre en pratiqueleur système idéologique. Comme les grands philosophes grecs des Vème et IV èmes siècles avant notre ère, ils recherchent une constitution politique idéale et exercent leurs compétences autant dans la politique et dans la diplomatie que dans le domaine divin. Les théories des druides, et les druides eux-mêmes, essaiment en Gaule. Ces prêtres-philosophes affermissent leur pouvoir en trouvant un équilibre entre des régimes royaux condamnés à disparaître, des noblesses imbues d'un pouvoir guerrier et financier trop grand et des masses plébéiennes nombreuses et productrices de richesses matérielles.

Les druides s'emparent d'un pouvoir religieux et juridique contesté depuis longtemps aux roitelets celtes. La description de Jules César laisse entendre que les druides ne s'occupent guère des affaires militaires. En revanche, elle est moins précise pour ce qui est du pouvoir proprement politique. Un auteur certes tardif, mais qui reprend les sources alexandrines du IIème siècle avant notre ère, Dion, dit Chrysotome, remarque à la fin du Ier siècle : "[Les druides] commandaient, les rois n'étant que leurs serviteurs et les ministres de leurs volontés." Quelle est la part de caricature d'une telle description ? C'est en tout cas un autre témoignage de la tendance qu'ont les druides à étendre leurs compétences à toutes les sphères de la société.

Les druides, jusqu'au Ier siècle avant notre ère, sont d'extraction noble : ils sont peut-être les puïnés des grandes familles ou ceux dont la capacité physique ne permettent pas la carrière militaire. A ce point de vue, Jules César est explicite : les druides échappent à l'impôt (ce qui sous-entend qu'ils auraient dû en payer), ils enseignent aux enfants nobles, ils conseillent les rois, les sénats, les assemblées guerrières ou juridiques, toutes institutions composées de nobles. Cette origine patricienne conforte certainement leur tentation de participer à la vie politique tumultueuse des grandes nations gauloises.

Comme à Rome, fonction sacerdotale et responsabilité politique se mêlent. Aussi ne faut-il pas s'étonner que Céser ne voie en Diviciac qu'un prince allié, capable de persuader les Eduens des bienfaits de la loi romaine. Sa qualité de druide est l'équivalent de celle de pontife pour Jules César, marchepied nécessaire à une carrière politique.

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